Un an après son lancement, c’est l’heure du premier bilan pour Autolib’. Depuis un mois les commentaires officiels ou officieux, critiques ou élogieux, emplissent l’actualité de la mobilité. Bolloré et les collectivités locales se félicitent du succès du lancement, des adhésions, d’un équilibre économique du service attendu plus tôt que prévu. Tout est rose au pays d’Autolib’ (cf. montage ci-contre diffusé par l’ACRIMED sur le traitement médiatique d’Autolib’ par Direct Matin, propriété de Bolloré)
Parmi les critiques de la première heure, il y a ceux qui maintiennent mordicus leur position, extrêmes de tous bords se rejoignant pour une fois dans une position commune : écologistes anti-nucléaires donc anti électricité, donc anti-VE, donc anti-Autolib’ qui retrouvent le plus traditionnel lobby « pro-bagnole » pour qui Autolib’ est une oeuvre « bobo-socialo-écolo », une machination contre la libre circulation des voitures dans les bouchons parisiens et le libre stationnement des même véhicules dans des parkings dont le coût ne cesse de croître. Il y a aussi ceux qui mangent leur chapeau parmi les projets concurrents : et si le projet porté par Bolloré était finalement un succès technique et financier. Pire encore, ce projet pourrait malgré tout ouvrir de nouveaux horizons pour les services de mobilité…
J’ai écrit plusieurs articles sur ce blog au sujet d’Autolib’ (parmi les plus populaires) et j’en écrirai d’autres, impossible donc d’échapper à un petit commentaire personnel, que j’appuierai sur 2 lectures récentes : un billet de Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, sur le blog autoactu.com, et une étude de satisfaction réalisée par la CLCV auprès de clients d’Autolib’.
Les mérites d’Autolib’ pour Bernard Jullien
Le premier mérite d’Autolib’ pour Bernard Jullien est d’offrir une vitrine au véhicule électrique, vitrine dont bénéficient et bénéficieront les autres constructeurs à la sortie de leurs propres véhicules. C’est notamment vrai pour Renault et sa Zoé. Les Bluecar sont visibles dans les rues depuis un an pour les 10 millions de franciliens et les millions de touristes et visiteurs de la région. Les utilisateurs, y compris à la journée, du système Autolib’ ont pu se familiariser à moindres frais et moindres risques avec un véhicule électrique, en appréhender les bénéfices et apprivoiser leurs craintes sur l’autonomie.
Le second mérite est de permettre un équipement progressif de la région (première couronne actuellement) en infrastructures de recharge ouvertes au public, en particulier en voirie. Avec le déploiement de ce réseau de l’expérience (et des données exploitables d’utilisation) sont accumulées. La délégation de service public Autolib’ présente l’insigne avantage de prévoir l’ouverture de l’infrastructure de recharge au public, principalement pour des besoins ponctuels et la réassurance : si vous manquez « de jus », vous pouvez compter sur une station pas trop loin, et avec un peu de chance il y aura une place de libre…
Le plus grand mérite d’Autolib’ selon Bernard Jullien, et j’adhère d’une certaine façon, c’est d’avoir osé confier le marché à un non-constructeur, affront suprême pour les grands constructeurs européens. Renault n’était pas prêt (ni sa Zoé ni son Twizy n’étaient disponibles dans les temps), PSA disposait de véhicules masi peut-être pas de la vision nécessaire à l’époque, les autres constructeurs européens n’étaient peut-être pas les bienvenus et n’étaient pas non plus très avancés dans leur développement véhicule. Conclusion, un industriel étranger au secteur automobile remporte la mise, avec un véhicule fabriqué pour l’essentiel en France, notamment concernant la fabrication des batteries qui utilisent une technologie laissée de côté par les autres (à tort ou à raison).
Surtout, cet industriel maîtrise à travers ses filiales l’essentiel de la chaîne de valeur du service (cf. article précédent sur le sujet) : développement web, bornes de recharge, supervision du service et même communication. Son approche est différente, pragmatique, industrielle mais orientée service. Il privilégie un service simple, voire basique, masi finalement plutôt fiable et efficace, ce que confirment à ce stade les utilisateurs du service interrogés par la CLCV. Non, Bolloré n’a pas emporté le contrat Autolib’ grâce à la « pureté des lignes » de son véhicule, à l’équipement de ceux-ci ou bien ses performances. Bolloré a choisi un véhicule sans peinture, moins esthétique, mais qui permet de gagner du poids (plusieurs kilos, c’est autant de gagné en autonomie!) et de limiter l’entretien (moins de rayures, moins visibles).
L’intérêt principal d’avoir attribué le contrat Autolib’ à Bolloré est donc d’avoir montré la direction aux constructeurs : ils ne seront pas exclus du jeu, bien au contraire, mais doivent revoir leurs priorités, leur manière de développer les produits et de faire du business. Bolloré espère exporter et répliquer ses savoir-faire, et ses dirigeants n’ont pas une réputation de philanthropes en affaires, on peut donc leur faire confiance pour exploiter au maximum leurs investissements, et ils s’emploient actuellement à le faire.
Autolib’ : « plus intéressant intellectuellement qu’utile socialement » ?
À la toute fin de sa chronique plutôt positive sur le bilan d’Autolib », M. Jullien arrive pourtant à la conclusion étonnante et soudaine qu’Autolib’ n’est finalement qu’un concept intellectuellement utile et stimulant, mais sans réelle utilité sociale. Je suis pour dresser un bilan critique d’Autolib’, bien évidemment, mais je ne partage pas la conclusion de M. Jullien.
D’après lui l’étude réalisée par la CLCV suggèrerait qu’Autolib’ n’a qu’une valeur de laboratoire parce que déployé sur une zone très dense, très desservie en transports en commun, et s’adresserait à des individus qui ont déjà de multiples choix modaux, qu’à ce titre cela augmente leur confort mais pas leur prédisposition à abandonner leur voiture (ou à continuer de faire sans).
Je m’inscris en faux contre cette interprétation à deux niveaux différents. Tout d’abord un service comme Autolib’ a du sens dans une agglomération dense, voire très dense. Son principe de trace directe nécessite a priori une telle densité (cf. cet article pour des explications sur le sujet). Autolib’ est adapté à quelques villes en France, probablement pas plus de cinq, et à de nombreuses métropoles européennes ou ailleurs dans le monde. Dans les villes moyennes en-dessous d’un million d’habitants, d’autres solutions d’autopartage et de location de voiture entre particuliers sont bien plus adaptées (ces solutions ont aussi leur place dans les métropoles denses).
Outre que le service Autolib’ a vocation à être déployé sur une métropole dense (ce qui justifiait son application à Paris), on ne peut parler de simple laboratoire dans la mesure où le service est déployé sur Paris et 46 communes de première couronne, périmètre encours d’extension, et touche donc directement une population locale importante, bien au-delà d’un simple laboratoire. Si on atteint 100 000 abonnés annuels à Autolib’ dans quelques temps, on ne pourra pas simplement parler d’un laboratoire.
Ensuite, sur l’utilité du service Autolib’, l’étude CLCV n’implique pas forcément qu’il n’y aurait pas de bénéfice hormis un confort accru pour les utilisateurs à travers l’augmentation du choix disponible. D’après l’étude on peut déjà dresser plusieurs profils d’usage d’Autolib’ (cela mériterait par d’autres études indépendantes et exhaustives, par exemple financées par le Syndicat Mixte Autolib’).
Certains clients utilisent Autolib’ quotidiennement, 1 à 2 fois par jour (on peut présumer en semaine principalement). Cela représente 37% des abonnés. De tels usages correspondent pour l’essentiel à des trajets domicile – travail pouvant être couplés à des usages loisirs. Lorsqu’on couple ce résultat avec le fait que 47% des utilisateurs utilisent Autolib’ parce que c’est plus rapide et agréable que les transports en commun et que seule la moitié des utilisateurs réduit l’usage de son véhicule principal, on est tenté de rejoindre les conclusions de Bernard Jullien et d’autres critiques d’Autolib’ qui estiment que ce service ne fait qu’augmenter l’offre pour des publics ayant déjà beaucoup de possibilités et pire peut être utilisé en substitution des transports en commun.
Pourtant, il y a des raisons d’être optimiste. Tout d’abord ces 37% d’utilisateurs quotidiens d’Autolib’ qui utilisent peut-être le service en substitution des transports en commun franchissent tout de même un pas intéressant. Soit ils ont déjà un véhicule et ils estiment majoritairement que le service les incite à ne pas conserver leur véhicule, ce qui signifie qu’à moyen terme ces utilisateurs réduiront leurs achats de véhicules en propriété. Soit ils n’en ont pas et l’utilisation d’Autolib’ leur permet de trouver une solution de mobilité qui certes n’utilise pas les transports en commun mais évite qu’ils achètent un véhicule. C’est important parce que pour leurs autres besoins de mobilité (loisirs, week-end et vacances) ils conservent le choix entre louer une voiture, prendre le train, faire du covoiturage, etc…). Dans ce dernier cas de figure l’utilisation d’un véhicule reste plus rationnelle que s’ils achetaient une voiture pour aller au travail en voiture, puisque le véhicule est partagé et exploite une technologie électronique qui a moins d’effets néfastes qu’un véhicule diesel équivalent.
Il reste 2/3 des utilisateurs qui utilisent Autolib’ régulièrement ou ponctuellement mais pas tous les jours. C’est la majorité. Clairement ces utilisateurs n’abandonnent pas les transports en commun au profit de la voiture, puisque l’usage est ponctuel. Probablement vont-ils le plus souvent au travail en transports en commun. Mais ils utilisent Autolib’ très régulièrement, c’est donc que cela répond à certains besoins mixte professionnels et personnels. Par ailleurs ils estiment que le service est peu onéreux (à 75%), donc que la valeur ajoutée du servie rendu excède nettement le prix demandé. Donc Autolib’ fait mieux que se substituer à leur véhicule personnel (sinon ils trouveraient cela cher). Pour les utilisateurs réguliers d’Autolib’, le service faut une véritable différence dans leurs pratiques de mobilité, car il les incite véritablement à renoncer (ou continuer de renoncer) à la propriété d’un véhicule. Le « continuer de renoncer » est important parce que beaucoup de personnes, lorsqu’elles s’installent en couple et ont un premier enfant, déménagent en première couronne… et achètent une voiture, parce qu’elles ont plus de facilité à la garer, ont un usage ponctuel au moins le week-end, etc…
Les clients d’Autolib’ me semblent remarquablement satisfaits de ce service public sous concession (on en rêverait pour bien d’autres services). Ainsi plus de 75% des utilisateurs sont satisfaits de l’adaptation du service, de la disponibilité des véhicules, de l’état des véhicules, de l’assistance téléphonique et du prix payé. C’est tout de même encourageant.
Ainsi si Autolib’ atteint finalement les 100 000 abonnés annuels dans quelques temps, il sera réellement difficile de toujours considérer qu’il s’agit d’un simple laboratoire et d’un service « fausse bonne idée d’urbains gâtés de la mobilité ». Il est évident que le service Autolib’ n’est adapté sous cette forme qu’à des métropoles, avec leur coeur dense mais aussi leurs zones périphériques (première couronne, agglomérations en seconde couronne). Par conséquent un tel concept peut toucher des bassins de mobilité où habitent plusieurs millions de français, plus d’un tiers de la population (en prenant les 4 grandes métropoles Paris, Lyon, Marseille, Lille). Et il faut ajouter tous ceux de passage dans ces villes qui peuvent bénéficier utilement du service.
Autolib’, plus qu’un laboratoire, un initiateur d’écosystème
Mon propos n’est pas de prétendre qu’Autolib’ serait le service idéal, l’alpha et l’omega de la mobilité, loin s’en faut, même si je suis convaincu que son développement est positif non seulement pour l’électromobilité mais aussi pour la mobilité partagée qui devient visible de tous et fait l’objet de campagnes de sensibilisation conséquentes. Je consacrerai de futurs articles à une critique constructive du concept d’autopartage en trace directe et son implémentation parisienne.
Cependant je constate qu’Autolib’, en plus de remporter l’adhésion de ses clients (je précise que même si je l’ai essayé, je ne suis pas client d’Autolib’ actuellement), a permis de populariser le concept de partage du véhicule. Cette évngélisation qui bénéficie des moyens des collectivités (Ile de France, ville de Paris) et de ceux de Bolloré, sert d’autres acteurs de la mobilité partgée en Ile de France, comme Auto2 à Cergy (autopartage) ou bien Deways pour la location de voitures entre particuliers.
Ainsi le service Autolib’ initie un écosystème de l’(auto)mobilité partagée grâce à la visibilité et la crédibilité données à ce concept. Les clients d’Autolib’ font partie des pionniers de cette mobilité, et Comunauto ne s’y est pas trompé en proposant des offres spécifiques directement adressées aux clients d’Autolib’.